Bamako | Finance : Est-ce la crise économique mondiale?
La faillite de SVB
Il s’est produit Outre-Atlantique, un événement jeudi 9 mars, qui donne des sueurs froides au monde entier.
En cinq jours, les banques américaines ont effacé plus de 100 milliards de dollars de valeur boursière, un bouillon de 9,5% pour JP Morgan, de 11,6% pour la Bank of America ou encore de 12,2% pour Wells Fargo et l’index Nasdaq Banks a dévissé de 15%.
Et tout ça, ce n’est rien à côté de la Silicon Valley Bank ou SVB qui a perdu 60,4% de sa valeur en une seule journée et qui est à l’origine de la panique.
Le phénomène s’est ensuite rapidement propagé en Asie et même en Europe et a fait reculer nos majors de 7 à 10%.
S’agit-il d’un simple accident de marché ou bien du début de quelque chose de bien plus grave?
Le phénomène s’est ensuite rapidement propagé en Asie et même en Europe et a fait reculer nos majors de 7 à 10%.
S’agit-il d’un simple accident de marché ou bien du début de quelque chose de bien plus grave?
Nous sommes nombreux à détenir des titres bancaires dans nos portefeuilles d’action et encore plus nombreux à avoir de l’argent en dépôt dans une banque, alors nous avons cherché en savoir plus.
Que se passe-t-il sur les valeurs bancaires américaines? Est-ce le début d’une nouvelle crise? Et quels sont les risques pour les banques européennes?
Nous sommes à Santa Clara, Californie, face à la baie de San Francisco, une ville dynamique située en périphérie de Saint-Jose, à 11 minutes en voiture de la légendaire Silicon Valley. C’est ici que travaillaient les équipes audacieuses d’une banque quasiment inconnue en dehors du microclimat des startups et de la thinktech.
La Silicon Valley Bank s’était spécialisée sur les sociétés financées par des capitales risques. Ses clients étaient pour la plupart des pépites, évoluant sur le secteur risqué de la haute technologie.
Juste avant la catastrophe, le mercredi 8 mars 2023, c’était encore la 16e plus grosse banque américaine.
Elle employait alors 6 500 salariés, détenait 147 milliards de dollars de dépôts et gérait 209 milliards de dollars d’actifs, dont il ne reste plus grand-chose seulement deux jours plus tard.
Le jeudi 9 mars, Peter Thiel, l’un des co-fondateurs de PayPal, conseille à tous les clients de la banque de retirer leurs fonds. Le titre a plongé de plus de 60% et a entraîné avec lui les autres valeurs bancaires de Wall Street. Le jour suivant, il a encore perdu 20% avant que la quotation ne soit suspendue, que la banque se déclare en faillite et que sondémentalement ne soit confiée aux autorités américaines sans aucun délai.
Il n’aura fallu que 48 heures pour que le cours s’effondre, c’est ce que l’on appelle une faillite express, on avait rarement vu ça.
Et pire encore, on n’avait plus vu de banque faire faillite aux Etats-Unis depuis 2008, et grâce justement à des nouvelles lois issues de la crise de subprimes, personne ne s’imaginait que c’était même encore possible.
Que s’est-il passé?
Pour répondre à cette question, tout le monde se tourne vers les autorités américaines qu’on soupçonne de façon unanime de ne pas avoir fait leur boulot de surveillance.
Pourtant, pour une fois, elles ne sont pas les seules fautives, et la banque non plus. La faute revient surtout à la réglementation américaine, qui permet à une banque d’encaisser et de réutiliser une partie des dépôts de ses clients sans les avoir garantis.
Une pratique ultra risquée, surtout quand la banque en question est hyper spécialisée sur un secteur lui aussi, réputé pour ses mouvements imprévus et réservés aux investisseurs avertis.
La chute de la SVB est la conséquence directe de l’augmentation brutale des taux d’intérêt qui a entraîné une diminution de la valeur comptable de la banque.
Les valeurs de la tech sont boudées depuis deux mois et elles ont toujours des gros besoins d’argent. Or, ce sont elles les clients de la SVB.
Quand elles ont commencé à retirer leurs fonds au même moment, il n’y a pas eu assez dans les caisses pour faire face à la demande.
Pour trouver des liquidités en urgence, la banque a revendu pour 21 milliards de dollars de titres avec une perte de 1,8 milliard de dollars qu’il faut aussi éponger.
La SVB lance alors une augmentation de capital express de 2 milliards et demi, mais l’opération échoue avant même de pouvoir être mise en place.
Le risque de marché s’est rapidement transformé en risque de crédit, puis en quelques heures, un bank run a mis la banque à genoux.
Dépôts des clients n’étaient assurés qu’à hauteur de 11%
Vendredi 10 mars, les autorités américaines s’emparent du dossier et déclarent la Silicon Valley Bank en faillite. Selon les premières conclusions, les dépôts des clients n’étaient assurés qu’à hauteur de 11% et tout le reste, il va donc falloir le trouver quelque part.
En 2023, une banque peut faire faillite.
Évidemment, l’événement a fait l’effet d’une bombe. Après la crise financière de 2008, le sauvetage de Washington Mutual, celui d’Indy Mack et les faillites de Bear Stearns et Lehman Brothers, la surveillance de ratios de liquidités des banques a été renforcée partout dans le monde. Pourtant, malgré le zèle des autorités américaines, ce cas-là leur a échappé et rappelle douloureusement au marché que, contrairement à une croyance populaire tenace, en 2023, une banque peut encore faire faillite.
Dans le sillage de la SVB, c’est Signature Bank qui fait ensuite faillite suite à la fermeture de la SVB vendredi, la plus importante faillite depuis celle de Washington Mutual en 2008 lors de la crise financière.
Signature Bank est une banque commerciale avec des bureaux de clients privés à New York, au Connecticut, en Californie, au Nevada et en Caroline du Nord, avec neuf lignes d’affaires nationales y compris l’immobilier commercial et la banque d’actifs numériques.
Le nombre déposants de ces banques sont des petites entreprises à l’origine de l’économie de l’innovation.
Dimanche, les autorités ont déclaré que les actionnaires et certains détenteurs des créances non garanties de la Signature Bank, ainsi que ceux de la Silicon Valley Bank, ne seraient pas protégés et que les dirigeants des deux banques avaient été démis de leur
fonction.
Silvergate en faillite
Dix jours avant l’annonce de la SVB, le 1er mars, Silvergate Capital, une banque, annonce elle aussi des difficultés et prévoit un possible défaut de paiement en cours d’année. Finalement, sa quotation est suspendue et elle déclare sa faillite à peine 48 heures plus tard dans un communiqué.
À la lumière de la récente évolution du secteur, Silvergate estime qu’un arrêt ordonné et une liquidation volontaire de ses activités de banque constituent la meilleure solution. Là aussi, l’affaire a été vite pliée.
Silvergate est une autre banque régionale californienne, fondée en 1988, et qui a commencé à se spécialiser sur les cryptoactifs dès 2013, quand personne n’y croyait. En quelques années, c’était devenu un pilier de la cryptosphère et l’employait près de 300 salariés il y a encore quelques jours, mais la récente faillite de la plateforme crypto FTX en novembre dernier ne l’a pas épargné.
Quand le bitcoin a entamé sa chute, les clients de Silvergate ont voulu retirer leur argent (tous en même temps) et ont provoqué une autre crise de liquidité.
En à peine quelques mois, les dépôts ont fondu de 52% et il ne lui reste plus actuellement que 6 milliards de dollars d’encours.
À Wall Street, l’action qui a culminé à plus de 200 dollars en 2021 s’est effondrée à moins de 5 dollars, avant que la quotation ne soit elle aussi suspendue. L’annonce de sa prochaine disparition a aussi entraîné une nouvelle panique chez
les crypto-investisseurs.
Depuis le début du mois, le bitcoin flirte dangereusement avec le plancher symbolique de 20 000 dollars, et l’Ether recule de 12%, mais Silvergate assure tous ses clients qu’ils seront remboursés et qu’en dehors du secteur, il y a aussi peu de chances que sa liquidation ait de graves conséquences.
Il est encore difficile de se faire une idée des relations entretenues avec les grandes plateformes comme Coinbase ou Paxos, mais les deux sociétés se veulent rassurantes en déclarant avoir pris des distances avec Silvergate dès l’automne dernier.
Crédit Suisse et les financement illégaux en Afrique
En Europe, il y a un autre mastodonte qui soulève beaucoup d’inquiétude. Le Crédit Suisse, ce n’est pas vraiment une banque régionale américaine, mais elle subit de plein fouet les remous américains et son titre n’a jamais atteint un niveau aussi bas depuis son introduction en bourse en 1995, 2 francs suisses et demi.
Dernièrement, ce qui a fait peur aux investisseurs, c’est le report de la publication de son rapport annuel 2022, à la suite d’un appel le 8 mars de la Securities and Exchange Commission, la SEC, concernant certains commentaires du gendarme boursier américain à propos d’anomalies dans les flux de trésorerie.
La réaction ne s’est pas fait attendre, le cours a dégringolé de 4,5% suite à cette annonce.
L’affaires des Swiss Secrets, faillite de Greens Hill et Archegos Capital, coupables de blanchiments
d’argent pour la mafia bulgare ou les narcotrafiquants, espionnage et financement illégaux en Afrique,
la sulfureuse banque d’investissement enchaîne les scandales et continue de faire parler
d’elle.
L’histoire vaut bien qu’on s’arrête quelques minutes dessus. Cette fois, on lui reproche d’avoir accordé des prêts à des ressortissants russes peu après le début de la guerre en Ukraine et d’avoir demandé à sa clientèle de faire disparaître des documents compromettant.
Ces prêts sont tous garantis par des yachts, des biens immobiliers, des jets ou d’autres actifs et ont été accordés à des gens très fortunés.
Le problème, c’est qu’avec les sanctions occidentales contre la Russie, ces clients ne remboursent plus.
Le crédit suisse enregistre beaucoup de défauts de paiement qui le mettent en danger et ce n’est pas très réjouissant car il faut passer des sommes colossales en provision alors qu’il n’y a pas d’argent.
Pour éviter plus de casse, ces ingénieurs financiers ont imaginé se débarrasser des créances russes dangereuses en les ficelant et en les étiquetant pour les revendre aux investisseurs intéressés sur les marchés.
Elles deviennent des instruments financiers constitués de morceaux de crédit douteux ou en contention.
La même stratégie qu’avant les subprimes de 2007
La stratégie n’est pas nouvelle, c’est celle qui a conduit à l’explosion des subprimes en 2008.
Éthiquement, c’est inacceptable et évidemment ça ne passe pas du tout auprès de l’opinion générale.
Si on sait tout ça, c’est qu’un certain nombre de documents internes à la banque ont de nouveau fuité, jusque sur les bureaux des journalistes du New York Times au début du mois de mars, une nouvelle affaire qui tombe bien mal alors que le groupe est déjà
à genoux.
Il n’y a plus qu’à attendre la publication du rapport annuel, qui n’a toujours pas de date prévue, pour en apprendre plus sur la santé financière de la banque.
Sur les bourses, le titre qui a perdu 90% de sa valeur entre 2007 et 2022 a encore reculé de 10,7% depuis le début de la crise bancaire américaine, mais il n’est pas le seul.
En France La BNP Paribas recule de 7,2%
La BNP Paribas recule de 7,2%, la Société Générale de 6,9%, la Deutsche Bank de 9,3%, l’autre géant suisse UBS de 4,7%, la Barclays de 4,1% et même HSBC de 4,5%.
Voilà ce qui arrive quand les mauvaises nouvelles s’enchaînent aussi dans un contexte de récession générale et de hausse des taux.
Y a-t-il un risque de crise systémique? Ou autrement dit, que les banques en faillite de cette semaine n’en entrennent d’autres dans leur chute à la manière des dominos jusqu’à mettre en danger toutes les banques de la planète? La question est légitime,
c’est ce qui a failli arriver en 2008 quand la quasi-totalité des gouvernements du monde a dû mettre la main à la poche pour renflouer les banques au bord du gouffre.
La crise de confiance, déjà bien encouragée par l’inflation. Quelques faillites éclaires de plus pourraient provoquer une panique générale, un risque de contagion et de panique bancaire qui pourraient se répandre comme une traînée de poudre parmi les clients des banques américaines.
Cette panique a déjà commencé dans les banques les plus fragiles et c’est un scénario qui doit être évité à tout prix pour les autorités.
Panique de la Fed
C’est dans ce contexte que la Réserve fédérale a pris des mesures d’urgence dimanche avant l’ouverture des marchés pour éviter ce scénario catastrophe.
La Fed a ainsi déclaré qu’elle mettrait des fonds supplémentaires à la disposition des institutions de dépôt éligibles afin qu’elles puissent répondre aux besoins de leurs déposants.
Les déposants de la Silicon Valley Bank seront donc intégralement remboursés. Ils ont également annoncé un mécanisme de prêts d’urgence pour fournir des fonds aux institutions dans le besoin afin de s’assurer que, je cite, les banques aient la capacité de répondre aux besoins de tous leurs déposants.
La Fed s’est également dite prête à faire face à toutes les pressions sur les liquidités qui pourraient survenir.
Ces mesures d’urgence révèlent une panique qui s’est emparée des autorités qui sont prêtes à tout pour consolider le système bancaire et à endiguer la contagion après l’implosion de la SVB et de la Signature Bank.
2008 reste gravé dans les mémoires et la priorité est d’éviter à tout prix un scénario similaire.
L’USDC retrouve son adosement au dollar
Certains acteurs majeurs du monde de la crypto, tels que Circle, rencontrent également des
difficultés, le gestionnaire du stablecoin USDC, une crypto-monnaie fixe indexée sur
le dollar américain, a annoncé qu’à l’heure actuelle, il disposait de plus de 3 milliards
et demi de dépôts à la SVB.
Le jeton a perdu pendant plusieurs jours son adosment au dollar avant de le retrouver
progressivement suite aux déclarations de l’entreprise et de la Fed le week-end dernier.
Est-ce un signe de plus que le système monétaire anglo-saxon qui est basé sur la dette a peut-être atteint ses limites? Cela révèle surtout une période de forte incertitude sur les marchés financiers. Tout le monde redoute l’annonce d’une prochaine faillite pouvant entraîner davantage d’entreprises dans son sillage.
À moins d’être banquier ou trader, surveiller et se tenir au courant de l’actualité économique et financière, ça prend du temps. En période de crise, tout s’enchaîne très vite, pour être sûrs de ne rien manquer, consultez notre site internet chaque semaine.